La descente de la Mer du Nord

du 18 juillet au 4 août

Hurry up, Treizour !*

* Dépêche-toi, Treizour !

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Mes équipiers Gueg et Véro sont partis tout à l’heure, bus pour l’aéroport puis avion pour Amsterdam et Lyon et retour à Grenoble, et le crachin est arrivé.

 

Je vais faire des courses en ville, je bricole sur le bateau, je fais les pleins de fuel et d’eau, j’utilise la « laundry » de la marina, lave-linge et séchoir pour faire une grande lessive. Je vais me doucher, je me prépare : eh oui, ça ne traîne pas, je repars cette nuit !

 

Le programme pour la suite, c’est descendre toute la côte Est de l’Écosse et de l’Angleterre pour arriver à Calais avant le 4 août, où Jérôme, eh oui, mon équipier pour l'Irlande qui y a pris goût, m’attend pour la suite de l’aventure.

 

600 milles nautiques d’Inverness à Calais : je n’avais pas bien évalué les distances avant de partir pour ce grand tour… Il va falloir faire vite !

 

Jeudi 18 juillet

 Lever 1h30, départ à 2 heures du matin. 63 milles prévus.

 

Je pars avec une petite brise et la pleine lune. Je passe sous le pont d’Inverness. Depuis 2 heures du matin, les lumières de l’aube sont là, au Nord-Est.

 

Pour sortir d’Inverness, on n’en finit pas de zigzaguer. Hier j’en ai parlé au marinier du bureau du port, j’avais sagement tracé ma route en respectant les hauts fonds et les bancs de sable : non, on passe tout droit, c’est dragué ! OK, ça zigzague un petit peu moins mais tout de même…

 

J’utilise le courant de marée, c’est pour ça que je suis parti à une heure pareille, on accélère. Je passe un pétrolier au mouillage, 234 mètres.

 

Je vais faire une navigation tranquille. Petit vent, ciel nuageux.

 

A 14 heures, j’approche de Banff, et je me prends un gros grain bien chargé ! Je rentre dans ce tout petit port, avec des belles digues anciennes de pierres, bien abrité. Pas beaucoup d’eau. Je m’approche du début de la descente de la Mer du Nord.

Sieste !

Vendredi 19 juillet

Je reste au port de Banff, le vent est contraire.

Ce matin je vois le marinier du port, il parle quelques mots de français, c’est rare !

Je me balade dans le petit bourg, je lis, j’écris.

En fin d’après-midi, grosses rafales et grosse pluie. J’ai bien fait de ne pas partir.

Je pars demain matin à 6h pour Peterhead, pour amorcer ma descente de la mer du Nord, mais je risque de passer plusieurs jours dans ce port, coincé par des vents qui viennent du sud, et je vais vers le sud.

 

Samedi 20 juillet

Je largue les amarres à 5h30 du matin. Je vise Peterhead, je veux passer le virage.

Pas de vent, de la brume, temps triste. Je vois un phoque pas loin du bateau, quelques dauphins.

Moteur, par moments les voiles.

 

En début d’après-midi, j’approche de Peterhead. La radio VHF est toujours allumée. J’entends un appel : « Treizour, Treizour… ». Attention, il y a des exercices dans le port… En fait, ici il faut toujours demander l’autorisation d’entrer ou de sortir du port, qui est très grand, il y a un gros trafic de cargos qui ravitaillent et entretiennent les stations pétrolières en Mer du Nord.

 

La marina est au fond de cette grande darse, et j’ai presque un peu de peine à trouver l’entrée.

Je ne le sais pas encore, mais je vais passer une semaine ici, à attendre que le vent tourne.

 

Deux français, Cécile et Franck, m’aident à m’amarrer. Avec leur Etap 28 « Ar Frankiz », ils arrivent tout droit de Norvège et veulent passer le canal calédonien. Ils ont fait cette virée nordique avec un bateau de 28 pieds, comme Treizour, en 3 ans, en laissant leur bateau un hiver d’abord au Danemark, puis un autre en Norvège.

 

Apéro du soir à bord d’Ar Frankiz, je leur parle bien sûr écluses et ponts tournants, ils me parlent fjords !

 

J'espère que mon stand-by à Peterhead ne va pas s'éterniser : il va sans doute durer jusque à vendredi soir, et là j'aurai un créneau de 2 jours avec du vent portant, enfin. Je me ferai sans doute une nuit en mer pour aller le plus loin possible avec le vent favorable. Après, on verra !

Il fait un temps magnifique, plein de monde sur la plage, et ça se baigne, mais dehors il y a du force 5-6, ça brasse, ça tarze, comme on dit en pays bigouden.

 

Pour une fois, les relations de ponton vont bon train, Peterhead est vraiment une escale très fréquentée par les voyageurs.

 

Cécile et Franck sont partis vers Inverness.

 

 Hier soir apéro à bord de Treizour avec 2 belges, Albert et Geneviève de « Glad eye » arrivant après 4 jours de mer de Belgique, ce soir je serai à leur bord.

Albert est intéressé par mon installation de panneau solaire, il vient prendre des renseignements.

Le lendemain soir Je vais manger à leur bord, ils ont un beau bateau, un Gladiateur Wauquiez, un bateau très marin, comme on dit.

Ils vont partir le lendemain vers les îles Shetland, et puis peut-être vers la Norvège.

 

Quelques jours plus tard, je reçois un mail des Shetland, ils ont comme voisins de ponton Jean-Noël et Claude de « Caolila », de vieux amis quimpérois, sur leur bel OVNI 39. Le monde est petit…

 

Et puis ça se passe aussi de façon très sympa avec mes voisins anglais.

Je rencontre un drôle de navigateur, un anglais très grand dans un bateau très petit, 6m50, un bateau de 1975… Un filin est suspendu à intervalles réguliers tout autour du bateau, au cas où il tombe à l’eau. Son annexe gonflable est sûrement beaucoup plus grande que celle de Treizour, et comme il ne peut pas la stocker dans le bateau, elle est accrochée dégonflée dans les filières… Et il part vers les îles Orcades !

J’ai changé de place : avant le vent s’engouffrait dans le bateau, je me suis mis en sens inverse, beaucoup mieux.

Je me balade en ville. Et je marche ! Pour arriver au centre, je suis le sentier côtier au dessus de la plage, j’en ai pour 20 bonnes minutes. Encore 15 minutes pour arriver à l’hypermarché local, rien que pour faire les courses, j’en ai pour 1h30 !

J’arpente la zone portuaire, je cherche un « schipchandler », comme on dit en France, ici on dit « boat chandlery »… Depuis l’Irlande, et ici le problème est le même, je ne trouve pas de magasins d’accastillage. En France, dans chaque port de plaisance il y a au moins un magasin d’accastillage, ici rien. On me dit « il faut aller à Aberdeen »…

 

Que penser de Treizour, après 2 mois de navigation ?

A la demande générale, et en particulier celle de mon grand frère, je me pose un instant pour faire le point.

Treizour va sur ses 21 ans, il est de 1998. Il fait 8,50m de coque, 8,80m hors tout. Il pèse un peu moins de 3 tonnes, précisément 2850 kg à vide, il fait 1,40m de tirant d’eau, 2,97m de largeur.

J’avais dit que je n’aurais plus de bateau après Indeed. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! Mais pour me justifier, j’ai changé de programme. Je suis un voyageur plutôt qu’un navigateur ; faire des ronds dans l’eau en baie de Douarnenez ne m’intéresse pas.

Fini les transats, les années complètes passées à bord, mon programme c’est naviguer l’été, et c’est l’Europe, des navigations côtières mais lointaines quand même : l’Écosse, le Danemark, la Suède, l’Espagne, le Portugal, la Méditerranée…

 

Depuis 2 mois, j’ai alterné des périodes avec et sans équipiers, j’ai eu du soleil et j’ai eu de grosses pluies, j’ai eu des mers d’huile et des vagues cassantes et fatigantes.

 

Eh bien le bilan est mitigé ! Treizour est un joli bateau, confortable, même à 3, Mais il me reste la nostalgie d’Indeed, 11 mètres, 7 tonnes…

Un bateau léger et « petit », c’est facile à manier : hisser les voiles n’est jamais un problème, toutes les manœuvres sont aisées et ne nécessitent pas de gros biceps. Certains jours, j’ai pris ou largué des ris 6 ou 7 fois, hissé et affalé la grand’voile 2 ou 3 fois, roulé-déroulé le génois dans la foulée.

Son petit tirant d’eau me plaît bien, son moteur marche bien.

Mais un bateau léger a un défaut, il bouchonne, on sent chaque petite vague, à la différence d’un gros bateau qui, par son inertie, défonce les vagues au lieu de les subir.

J’ai fait une arrivée à Belfast contre le vent et contre le courant, chaque (petite) vague stoppait le bateau. J’ai passé des journées épuisantes en Mer du Nord, avec une mer mauvaise, des grosses vagues, et l‘impossibilité de vivre à bord !

Vivre à bord, c’est préparer à manger, dîner à table dans le carré, lire, regarder un film sur l’ordinateur en petits épisodes de 5 ou 10 minutes, faire des petites siestes de 15 minutes…

J’ai eu des journées formidables, paisibles, où le bateau marchait fort, mais aussi quelques journées tuantes qui me cassent le moral.

 

Je dois dire aussi que j’ai eu un certain nombre de problèmes matériels depuis le départ fin mai.

Tout l’hiver j’ai préparé le bateau, bien à l’abri au fond du Port Rhu.

Mais il a fallu changer le réservoir d’eau en Irlande, idem pour le pilote automatique. Les fuites aux hublots que je croyais réglées réapparaissent régulièrement. J’ai découvert, après une journée à taper dans les vagues et à enfourner l’étrave du bateau, que de l’eau de mer rentrait insidieusement dans la cabine avant jusque dans son entrée : il n’y avait donc pas que le réservoir qui fuyait  Enfin le sondeur s’est mis en panne…

 

Bon, soyons optimiste, il y a aussi des bonnes surprises. Mon installation électrique est parfaite ! Mon gros panneau solaire sur son portique charge tellement fort les batteries que je n’ai eu aucun problème pendant mes nuits en mer, où je faisais tourner l’ordinateur, les feux, et surtout le pilote automatique électrique, gros consommateur.

Et puis un bateau petit a les avantages d’un bateau petit, facile à garer dans les ports, et pas cher – oui, la place de port c’est au mètre…

Et puis l’annexe est impeccable et très chic, et son petit hors bord trentenaire marche comme un jeune.

Le sondeur marche bien mieux qu’avant !

Et tous mes bricolages de l’hiver sont là comme s’ils y avaient été depuis la construction du bateau, les bloqueurs de portes, les charnières de coffres, les étagères supplémentaires, etc.

Donc bilan mitigé, vous disais-je.

 

Tous les jours je regarde les prévisions météo sur Windy.com, vent de sud, vent de sud, vent de sud...

Jeudi, la plage est bondée, mais il y a peu de baigneurs, à part quelques enfants inconscients, l’eau est à 14°.

Échanges avec mes voisins anglo-hongrois : ils partent vers le canal calédonien. Ils photographient ma carte du canal, et me demandent de leur confirmer le tarif pour une semaine de traversée du canal, écluses et pontons : c’est environ 20 pounds ? Euh non, c’est 180 pounds ! Ils ont fait la grimace. Leur voilier, qui a la taille de Treizour, a une voile de jonque, ce n’est pas courant.

 

Le soir, grande fête sur la plage, organisée par l’académie maritime de Peterhead : une belle course est organisée dans la rade, les concurrents sont des « catamarans » fabriqués avec des bidons de 200 litres en  plastique de récup’, avec 6 rameurs à bord. Très drôle, et très acclamé.

A priori, je pars samedi matin, 6h du mat', le vent favorable, le courant dans le bon sens, pas trop de vagues. Et je vise Hartlepool, 175 milles nautiques, au moins une nuit en mer, et sans doute une arrivée très tardive.

Vendredi, le vent est toujours du Sud, mais demain, enfin ça change !

 

Samedi 27 juillet

 

Enfin le vent a tourné ! J’ai fait une sacrée étape, de Peterhead à Hartlepool : parti à 6 heures du matin, j'ai passé 2 jours et une nuit en mer, et en plus j'ai bombardé, bon vent tout le temps. Bon, rien n'est parfait, j'avais des grosses vagues, 1,50m à 2m, parfois plus... Nuit ventée, 2ème puis 3ème ris. C'est fatigant, heureusement que ça avançait bien. Je craignais une 2ème nuit en mer, je suis arrivé avant la tombée de la nuit.

 

L'arrivée a été plus compliquée : il y a de grosses marées dans l'est de l'Angleterre. Pour entrer dans la marina d'Hartlepool, il y a un chenal puis une écluse, eh oui, encore une.

Et évidemment je suis arrivé dans le coin pile à marée basse, vers 19h30. J'ai ralenti, ralenti pour arriver vers 20h30, puis j'ai appelé la capitainerie, ils m'ont dit d'attendre encore, marée basse + 2 heures. Je suis allé m'accrocher à un bateau de pêche dans le port de commerce, puis à 21h30 j'ai passé le chenal puis l'écluse. Et dans ce chenal, mon alarme de profondeur, réglée sur 2m50, n'arrêtait pas de couiner, impressionnant !

Installé au ponton à 10h du soir, ouf, crevé. Je me fais des spaghettis, et dodo.

La Mer du Nord est devenue une gigantesque zone industrielle

Certains parmi nous, des naïfs sans doute, pensent que la mer est un des derniers endroits sauvages de notre planète où les petits poissons font des bulles. Ça c’était avant

Prenez une carte marine de la Mer du Nord, et vous serez sans doute effaré, comme je l’ai été. Il y a des centaines de plateformes pétrolières !

Et pour chaque plateforme, il y a des bateaux chargés de l’entretien, de l’approvisionnement, du transport du personnel.

Qui dit pétrole dit pétroliers, des monstres de 150, 200, 250 mètres de long.    

 

Autre surprise, pas toujours annoncée sur mes cartes marines, les « Windfarms », les  fermes éoliennes.

Depuis l’Écosse, je longe des champs d’éoliennes géantes, des centaines d’éoliennes, en pleine mer, invisibles de la côte. Quand je pense qu’en France, dès qu’on veut installer 3 éoliennes il se trouve toujours quelqu’un pour créer un comité de salut public…

Une Windfarm, c’est de 50 à 200 éoliennes, et il faut les entretenir. Hier, avec l’AIS, je voyais sur une ferme une vingtaine de bateaux affairés auprès des éoliennes, des gros catamarans à moteur d’une vingtaine de mètres.

 

J’ai même découvert une curiosité en Mer du Nord : un parking à cargos ! Pour les petits, un place circulaire d’1/2 mille de diamètre, pour les gros 1 mille (1,852 km) de diamètre. Il y avait  8 cargos au mouillage quand je suis passé.

La Mer du Nord a une faible profondeur sur de très grandes étendues, 15, 20, 25 mètres. La côte anglaise est longée de hauts fonds et de bancs de sable qui font de la navigation un vrai gymkhana. Ma question permanente : comment faisait-on avant l’AIS ?

 

Alors, des chenaux, des balises, des champs d’éoliennes, des plateformes pétrolières, des cargos partout… Une zone industrielle, je vous le disais.

Et en plus l’eau est souvent boueuse, couleur café au lait…

 

Pour la suite, je vais attendre 24 heures ici à Hartlepool pour repartir, j'ai le vent de face demain.

Je découvre le problème dans cette région : beaucoup de ports ne sont accessibles qu'à marée haute, avec des écluses, ou bien ce sont des ports qui assèchent à marée basse !

Je suis sans doute condamné à refaire au moins une très grosse étape.

Réussirai-je à arriver à temps à Calais ? Vous le saurez au prochain épisode - Moi j'aimerais bien le savoir !

 

Donc 2 jours de repos à Hartlepool, le 1er parce que j’en avais besoin, le 2ème pour raison de vent contraire.

J'ai pris rendez-vous pour  l'écluse à 7h demain matin 31 juillet. Direction Scarborough, où je devrais arriver vers 15h-17h, car c'est encore un port où on ne peut pas arriver à marée basse, mais là ça ira, la marée sera haute à 15h30, et pas d'écluse.

 

Après, le jour d'après, 1er août, grosse étape avec une nuit en mer vers Lowestoft, un port où on peut arriver quand on veut !

Après, 3 août, sans doute route vers Ramsgate.

Et le 4 août enfin, traversée de la Manche vers Calais.

 

Mercredi 31 juillet

Mauvaise journée, journée exécrable !

6h55, j’appelle le bureau du port à la VHF, ils m’ouvrent l’écluse. Et il se met à pleuvoir des cordes ! Ciré complet…

Je pars à marée basse, l’alarme du sondeur couine, dans l’étroit chenal de sortie du port je verrai apparaître fugitivement « 1m » sur l’écran du sondeur. J’ai mis une marge de sécurité de 20 à 50 cm, mais le bateau cale 1,40 m… C’était peut-être un poisson qui passait sous la coque ?

Devant Hartlepool, il y a une Windfarm qui n’apparaît pas sur mes cartes, trop récente. Hier soir j’ai trouvé sur Internet un vague schéma de l’emplacement des éoliennes, je dessine ça sur ma carte marine, ça fait l’affaire !

Des vagues aujourd’hui, des grosses vagues désordonnées, le plus souvent de face. Treizour se fait chahuter, tape, cogne.

Et le capitaine subit. On ne peut rien faire dans ces conditions qu’attendre et ruminer.

L’étrave plonge régulièrement et brutalement, et l’ancre, qui est très exposée, se soulève avec des bruits affreux. C’est la 1ère fois que le problème se pose. J’avais mis 2 bouts’ de sécurité pour bloquer l’ancre, Je vais en rajouter un 3ème, je ne voudrais pas la perdre, ou que toute la chaîne se dévide, 45 mètres avec l’ancre pendant au bout !

2 heures plus tard, l’ancre se soulève tellement qu’elle sort du davier : elle est encore là, pendouillante… Vite je vais la remettre à sa place, je resserre tous les bouts’, mais avec ces vagues je ne peux rien faire d’autre ce soir…

Dans la série JDM (journée de m…), je découvre de l’eau dans l’entrée de la cabine avant. Je contrôle, le réservoir d’eau tout neuf ne fuit pas, son compartiment est sec. Je goutte l’eau, elle est salée. Et je comprends que de l’eau entre par l’étrave quand le bateau plonge dans la vague, il doit y avoir une petite entrée d’eau dans le puits à chaîne.

J’éponge, je sèche…

 

16h, j’arrive à Scarborough. Il y avait sans doute 3 à 4 nœuds de courant sur les derniers milles, c’est très perturbant.

Mon voisin de ponton me donne un coup de main pour m’installer, un navigateur solitaire sur un bateau très petit, mais très bien équipé, très propre. Je lui dis que je trouve son yacht « pretty ».

Après cette mauvaise journée, Scarborough est une bonne surprise. Je connaissais la chanson de Simon & Garfunkel, « Are you going to Scarborough fair… », je découvre une ville dédiée au pain d’épices, aux sucres d’orge, aux glaces et aux machines à sous ! C’est une ville de bord de mer très anglaise, une fête foraine permanente, et pour une fois la marina est en plein centre ville, on en profite sans que ça soit gênant. Ce soir, fish & ships !

 

Jeudi 1er août

5h, départ. Je quitte Scarborough pour viser Lowestoft à 150 milles nautiques d’ici. Encore une nuit en mer en perspective.

Il y a toujours des vagues, mais elles ont tendance à se civiliser. Le temps devient beau, même s’il y a un peu de brume et que le vent reste frais. J’aperçois des champs d’éoliennes.

 Je vois des cargos isolés au mouillage au milieu de nulle part. Et je découvre mon premier vrai parking à cargos dont j’ai parlé plus haut.

J’essaie de gérer ma vitesse, je fais des calculs de moyenne idéale pour arriver demain à 12h30, à l’étale de marée, sans courant.  Je vais trop vite, trop de courant !

 

La  nuit tombe, 4 cargos me doublent. Un cargo de 234 mètres me dépasse à quelques centaines de mètres.

Minuit, la nuit est profonde, pas de lune, des étoiles, des cargos et des éoliennes partout.

Le jour et la nuit

Regardez la carte de l’Europe : Inverness est à peu près à la même latitude que le bas de la Norvège, vers le 58ème parallèle Nord. J‘étais à Inverness le 18 juillet, pas très loin du Solstice d’été du 21 juin, et dans ces latitudes on approche du soleil de minuit.

Quand j’ai quitté Inverness, à 2 heures du matin, je voyais les lueurs de l’aube, et à 3 heures c’était déjà la lumière du petit matin. Et la  nuit tombait très tard, vers 23 heures. Maintenant à 21 heures, l’obscurité est là.

Je suis en train de descendre la côte Est de l’Angleterre à toute vitesse, j’ai fait des nuits en mer, et je vois augmenter la longueur des nuits en même temps.

J’ai retrouvé des nuits très noires, des nuits qui s’éternisent ! Arrivé à Calais, le jour ne se lèvera péniblement que vers 5 heures du matin, et on sera en Août !

Dommage, j’aime ces nuits en mer où on voit bien les étoiles, mais où le ciel n’est jamais vraiment noir, où on voit les oiseaux, l’horizon, la côte. Il faudra que je retourne là-haut...

 

La nuit se passe sereinement, je fais des siestes de 20 minutes, ce n’est pas vraiment du sommeil profond mais je me repose bien.

Pendant toute la matinée j’essaie de régler ma vitesse, trop de courant, trop de voiles, pas assez de courant, pas assez de voiles.

J’arrive à 13h au ponton de Lowestoft, mais le résultat de mes efforts est décevant, il y a trop de vent pour cette arrivée, trop de courant, trop de clapot, et c’est soi-disant  le « slack », l’étale…

 

Petit bilan rapide, ces 2 journées se sont bien passées, bien mieux que l’étape précédente où j'avais eu pluie et grosses vagues ! Beau temps, un peu moins de vagues, juste une arrivée un peu compliquée, mais tout va bien.

 

Je rentre dans le port ; à droite il y a la darse pour les bateaux de pêche et les gros catamarans qui s’occupent des Windfarms, vers l’Ouest une rivière s’enfonce dans la ville, tout de suite à gauche s’ouvre l’entrée de la marina, et les cargos continuent dans ce chenal étroit après qu’un pont tournant leur ait laissé le passage. De mon ponton, je vois ces cargos passer à 25 mètres, juste de l’autre côté de la digue qui ferme la marina.

La marina, non, la « Royal Norfolk & Suffolk Yacht Club Marina », est assez ordinaire, et l’accueil est nul. C’est assez rare pour le dire.

Balade rapide en ville pour trouver un supermarché, et sieste.

 

Samedi 3 août

6h55, j’appelle à la radio VHF le canal 14, je demande l’autorisation de pointer mon nez en dehors de la marina. Je dois laisser passer un cargo de 100 mètres, à quelques mètres devant mon étrave. Quelques instants plus tard, la dame me rappelle, c’est OK.

Je commence ma descente vers Ramsgate, je suis doublé par une dizaine de catamarans à Windfarms.

J’ai calculé mon heure de départ pour avoir le courant de marée avec moi. J’ai 73 milles à parcourir.

Je reprends mes calculs de moyennes, je consulte les heures des courants, je suppute mon heure d’arrivée : je vois sur la carte que le chenal d’entrée dans Ramsgate est en travers du courant, ça serait sûrement plus facile à l’étale, comme d’habitude.

 

Vers midi, une première : je vois un cargo sans AIS ! Parmi tous les cargos que je repère, il y a un porte-conteneurs d’environ 250 mètres, je peux lire son nom géant sur son flanc,  YANG MING, il doit être à un ou deux milles de moi, et il n’apparaît pas parmi mes cibles AIS. Un vrai scandale. J’imagine la même découverte dans  la nuit noire…

 

Tout l’après-midi, mes petits calculs s’enchaînent, marée, courants, heure d’arrivée. J’avais imaginé de continuer jusqu’à Douvres, mais je ne vais pas assez vite, j’y arriverais trop tard, et je ne veux pas faire des manœuvres de port dans le noir.

J’arrive dans le chenal d’entrée de Ramsgate, finalement le courant traversier se gère facilement. Je suis suivi par un voilier belge de 20 mètres. Marée basse, mon alarme de profondeur couine. J’entre dans la marina sans problème avec mon tirant d’eau de 1,40m, mais mon suiveur va planter sa quille de 2,20m dans la vase !  Ce sera heureusement sans conséquence, il arrive 10 minutes après moi.

21h, je suis amarré au ponton.

 

Grande marée, gros marnage, cette marina immense a l’air de s’envaser, les côtés sont asséchés et des bateaux ont l’air d’être posés.

Je ne vais pas sortir de l'enceinte du port, même pas un coup d’œil sur la ville, pas le temps. Demain je suis en France !

 

Dimanche 4 août

Après de savants calculs, je démarre à 9h45, je dois rejoindre le bord de la Manche à la hauteur de Douvres, et ma traversée doit commencer à 12h15.

Je sors du port, mon téléphone sonne, c’est Jean-Claude et Isa, mes squatters douarnenistes  ! Ils vont bientôt quitter ma maison, après de longues recherches de la maison idéale près de Douarnenez.

Je ne vais pas trop vite, et j’arrive à 12h15 à la bouée qui marque la limite de la Manche. C’est parti !

Petit vent, voiles et moteur. Brume légère. Je croise quelques cargos, un porte-conteneurs immatriculé au Libéria de 294 mètres, un autre japonais de 338 mètres.

Il y a du courant, mais je ne sais pas trop dans quel sens : je suis aux environs de la marée haute, là où les courants sont en train de changer de sens.

Je vais terminer ma traversée en augmentant le régime du moteur : Mon guide nautique me parle d’un pont tournant qui donne accès la marina de Calais, Je passe de l’heure anglaise à l’heure française, une heure de plus, et je crains de me retrouver bloqué. Je crois comprendre que la dernière ouverture du pont tournant est à 17h15.

Dans le chenal d’arrivée, le port de Calais m’appelle à la radio VHF, je dois me mettre en position d’attente, un ferry part vers Douvres, un autre arrive.

J’entre dans le port, le marinier à la VHF  m’informe que le pont tournant s’ouvrira à 17h45, tout va bien. J’apprendrai plus tard que le pont s’ouvrira encore à 18h45

 

Je rentre dans la marina, j’installe Treizour, et Jérôme arrive à 18h30, la gare est à 10 minutes à pied.

 

Cette descente d’Inverness à Calais aura été une vraie galopade, avec une interruption interminable d’une semaine à Peterhead pour cause de vents contraires, mais j’y suis arrivé !

 

Avec Jérôme on s’offre le restau ce soir : spécialités du Nord, Ficelle, Potjevlesch, et au dessert un Calais.

 

Au programme pour la suite, le retour sur Douarnenez. La météo des jours qui viennent n’est pas sympathique, vent d’Ouest annoncé, et nous allons vers l’Ouest ! Vous saurez tout au prochain épisode.